Connaissez-vous l’image du donut appliquée à l’économie ? Ce beignet peint en vert par l’économiste Kate Raworth sert à désigner les enjeux de nos sociétés et de nos économies : créer et partager des richesses à l’intérieur de cet anneau, en respectant un plancher social et un plafond environnemental. Il s’agit de valoriser des économies régénératives, contributives, durables et équitables ! Nous sommes confrontés à l’urgence d’intégrer les limites planétaires dans nos vies marquées par la croissance et la vitesse.
Force est de reconnaître les impasses dans lesquelles nous conduisent nos modes de production et de consommation. Prenons l’exemple de l’industrie de l’habillement : elle produit 130 milliards de vêtements par an, dont seulement 100 milliards sont achetés. Une bonne partie de la production finit donc directement dans des décharges au Ghana ou dans d’autres pays marchandant l’accueil de ces déchets polluants. Quand on sait que les couturières du Bangladesh ou d’Ethiopie n’ont pas un salaire décent et que la fabrication d’un jean utilise 7.000 à 10.000 litres d’eau, on voit le problème et la nécessité de promouvoir la décroissance des volumes de production et de consommation dans des secteurs et filières clés. L’objectif est donc de proposer un mode de vie sobre et désirable ! Il nous faut ralentir, et surtout rediriger les courses folles de nos sociétés.
La boussole pour se rediriger est celle du bien commun. Cette notion peut être appréhendée dans trois de ses dimensions : premièrement, elle nous appelle, comme citoyens, à nous demander de quoi nous avons vraiment besoin, et à voir comment permettre à chacun d’y avoir accès (en termes de santé et d’éducation, de logement, mobilité, vêtements, alimentation, sécurité, etc. : c’est ce qu’on appelle les biens communs mondiaux). Deuxièmement, nous aspirons à la paix, la justice, la solidarité, la fraternité… Ce trésor commun des valeurs que nous reconnaissons comme importantes dans notre vie, c’est ce qui peut orienter nos actions individuelles et collectives. Troisièmement, pour y parvenir, des processus menés ensemble sont nécessaires, pour redéfinir les règles du jeu de la façon la plus démocratique possible. Ces règles communes s’appliquent aux entreprises comme aux Etats,aux citoyens et aux consommateurs.
Que devons-nous entreprendre en commun ? J’ai développé depuis 20 ans, à la faveur d’enquêtes sur différents secteurs industriels à l’international, un cadre d’analyse, qui cherche à représenter nos responsabilités de façon dynamique et intégrée. C’est ce que j’appelle la responsabilité systémique de l’entreprise : il n’est pas suffisant de défendre des critères de rémunération minimale dans une (grande) entreprise si l’écart de salaires au long des chaînes de valeur est de 1 à 200 ou 2.000 ! De nombreux chemins sont possibles, à toutes les échelles pour faire converger les logiques financières, écologiques et sociales. Parmi les mesures clés pour harmoniser les règles du jeu, mentionnons le statut de société à mission d’intérêt commun, porté par la Coalition KAYA, dans le prolongement de la loi PACTE en France (NdR : une loi française qui a pour objectif de mieux partager la valeur créée par les entreprises avec les salariés). De multiples entrepreneurs innovent déjà pour le bien commun, comme, par exemple Patagonia ou 1083 dans le secteur de l’habillement, ou la maison Dandoy dans le secteur alimentaire : il s’agit de favoriser tant les conditions de pérennité des entreprises les plus vertueuses, que de favoriser le plus large accès aux produits fabriqués de façon soutenable. Yes we can !
Cécile Renouard